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: une approche située des pratiques socio-culturelles

 

La démarche naturaliste

La démarche naturaliste est basée sur une approche praxéologique, centrée sur l’observation et l’analyse des actions et interactions ordinaires des participants. Cette conception de l’action - et du langage en action - produit une série d’exigences conceptuelles envers les enregistrements. L’action y est considérée en tant que :

  • Action située en contexte, localement organisée par ajustement à ce contexte
  • Action incarnée (embodied)
  • Action imbriquée dans le temps et organisation séquentielle de cette temporalité
  • Action qui s’organise grâce à la mobilisation continue et située de détails linguistiques et multimodaux
  • Action dont l’ordre est une propriété emic vers laquelle s’orientent les participants
  • Action collective, interactive, distribuée
  • Action qui mobilise souvent aussi des objets (artefacts) et des technologies dans l’espace de l’interaction

Principe de naturalité

Les « naturally occurring data » : interactions produites dans leur contexte social ordinaire, sans avoir été orchestrées par le chercheur (invasivité minimale du dispositif d’enregistrement). C’est le chercheur qui s’adapte aux circonstances à enregistrer et non le contraire. Dans la littérature et selon les disciplines, on parlera de données "naturalistes", "situées", "authentiques", "écologiques".

Principe de pertinence (Schegloff, 1991)

Il s'agit d'enregistrement de détails qui sont traités par les participants eux-mêmes comme pertinents pour l’organisation de l’action et pour sa compréhension (vision emic).

Principe de disponibilité (Mondada, 2003)

Les enregistrements doivent rendre disponible à l’analyse les ressources vers lesquelles s’orientent les participants (accountability). Les transcriptions doivent en faire de même. Ne pas enregistrer ou ne pas transcrire ces détails signifie les gommer et les rendre invisibles, donc indisponibles pour l’analyse.

Qu’est-ce que cela signifie?

  • Pour pouvoir faire l’objet d’une analyse, les phénomènes doivent être disponibles à la fois sur les enregistrements et dans les transcriptions, i.e. observables et descriptibles dans leur détail.
  • Cette disponibilité est cruciale pour l’analyste, mais - dans une perspective emic - elle est convergente avec la perspective des membres, qui dictent la pertinence des détails en s’orientant vers eux. Ces orientations aussi doivent être disponibles pour l’analyse.
  • Le principe de disponibilité intervient à la fois dans l’enregistrement et dans la transcription, i.e. dans toutes les phases de fabrication du corpus en vue de son exploitation.
  • Le principe de disponibilité est étroitement lié à l’exigence propre à l’analyse conversationnelle et à la linguistique interactionnelle de préserver des caractéristiques essentielles de l’activité interactionnelle, notamment la temporalité, l’organisation écologique (cf. Goodwin, Heath, Suchman), l’organisation séquentielle.

Exigences de base pour l’enregistrement

De manière cohérente avec ces exigences conceptuelles et analytiques, la constitution des corpus tente de préserver la naturalité de la parole :

Préservation de la temporalité de l’événement

  • De ses limites temporelles (bien veiller à enregistrer les début/fin de l’événement)
  • De sa continuité temporelle (ne PAS faire de coupures! Enregistrement en continu)

Préservation des formats de participation

  • Ne pas faire de gros plans sur un participant en particulier, aussi bavard soit-il
  • Inclure tous les participants si possible
  • Prévoir des changments de formats de participation

Préservation de l’écologie de l’action (espace, objets pertinents)

  • Régler le champ de la caméra de sorte à ce que les participants n’en sortent pas ou le moins possible pendant l’action (important surtout si la caméra est fixe)
  • Inclure les objets manipulés (et recueillir les textes ou détails de ces objets après l’enregistrement) et traités comme pertinents par les participants (ex. objets sur lesquels se portent leurs regards)

Documentation continue des ressources mobilisées (parole, mais aussi gestes, regards…)

  • Dans la mesure du possible, veiller à ce que l’analyste puisse avoir un accès continu non seulement à la parole mais aux gestes, aux regards des participants)

Difficultés correspondantes

Ces exigences sont souvent confrontées à la complexité de l’organisation située et dynamique des actions en contexte. Pour ne donner que quelques exemples :

  • Comment traiter les participants périphériques, qui vont et viennent, qui restent aux marges de l’espace interactionnel tout en participant ponctuellement à l’échange? Comment traiter les participants silencieux et marginaux?
  • Comment parvenir à documenter avec le même degré de finesse les détails multimodaux dans la continuité temporelle de l’interaction? Que faire quand un participant tourne le dos à la caméra, se déplace, sort du cadre, se dispose d’une manière qui le soustrait à la prise de vue?
  • De même, que faire quand un participant murmure quelque chose à son voisin, parle à voix basse et inaudible pour les autres? Que faire quand un schisme se produit dans la conversation, occasionnant momentanément deux ou trois conversations parallèles ?