UNIVERSITÉ LUMIÈRE - LYON II

L'HOMME ET SON ENVIRONNEMENT

 

 

Thierry BORREL Novembre 2000

Professeur Agrégé de Biochimie Génie-Biologique 1re Édition

Département Génie Biologique

I.U.T.-A LYON I

43, Bd du 11 Novembre 1918

69 622 Villeurbanne cedex.

 

 

LES INFECTIONS NOSOCOMIALES

 

 

 

INTRODUCTION :

- Les infections nosocomiales (du grecque nosos = maladie et komein = soigner) génèrent une morbidité et une mortalité importante et un surcoût économique.

- En 1996 en France, entre 6 à 7 % (taux de prévalence) des patients admis à l'hôpital ont contractés une infection du fait de leur séjour. Chaque année plus de 1 million de patients admis en court séjour développent une infection.

10 000 décès par an sont imputables aux infections nosocomiales.

- L'O.M.S. estime qu'en moyenne 190 millions de personnes sont hospitalisées chaque année dans le monde et que 9 millions d'entre elles contractent une infection à cette occasion. Un million de personnes meurent chaque année ; ces infections coûtent 10 milliards de dollars par an aux seuls États-Unis.

- Le grand public a découvert les infections nosocomiales par le biais du scandale du sang contaminé, bien que depuis plusieurs dizaines d'années, l'ampleur des données devienne préoccupante.

La multiplication des innovations techniques et thérapeutiques dans de nombreux domaines de la médecine a inscrit les infections nosocomiales comme rançon quasi inéluctable du progrès.

I. AUX ORIGINES DE LA LUTTE CONTRE LES INFECTIONS NOSOCOMIALES

- À la fin du XVIIIème siècle, l'hôpital est encore un lieu d'accueil des invalides, vieillards, pauvres et enfants abandonnés. L'hôpital assiste et nourrit plus qu'il ne soigne. On prend soin à la fois de l'âme et du corps.

- Jean-René TENON (1724-1816), chirurgien membre de l'Académie des Sciences rédige à la demande de Louis XVI, un rapport sur les hôpitaux du royaume. À l'Hôtel Dieu de Paris, les malades contagieux ne sont pas séparés des malades sains, les jeunes infirmiers et chirurgiens sont décimés, la mortalité des accouchées est effrayante : 10 % et parfois beaucoup plus. La fièvre puerpérale épidemique fait rage. Les femmes qui accouchent à la maison sont moins touchées.

- Ignace Philippe SEMMELWEIS (1818-1865), né à Bude en Hongrie, est le précurseur de l'antiseptie.

En février 1846, il devient médecin assistant de la 1re clinique obstétricale de l'hôpital général de Vienne, dirigé par le Pr. Klein, nommé directeur en 1833. Avant cette date la mortalité par fièvre puerpérale est faible pour l'époque : 1,25 % (837 décès sur 71400). Klein admet les étudiants en médecine en nombre à la clinique : la mortalité par fièvre puerpérale flambe (7 %). Une division du service est confiée aux seuls étudiants : la mortalité atteint 9,5 %. L'autre division, confiée aux sages femmes, voit sa mortalité tombée à 2,6 %.

En 1842, la mortalité s'élève à 15,8 % et certains mois à 30 %. Un vent de panique secoue la ville, et lorsqu'elles apprennent leur admission à la clinique du Pr. Klein, les femmes "supplient à genoux" qu'on les envoient ailleurs.

Semmelweis incrimine les médecins. Il remarque que s'exhalent des relents cadavériques des mains des professeurs, assistants, étudiants qui pratiquent des dissections sur les cadavres et c'est ainsi qu'ils se rendent au chevet des femmes en couches. Tout s'éclaire lorsque le Pr. Kolletschka, ami de Semmelweis, meurt d'une blessure au doigt au cours d'une autopsie.

À partir de 1847, il interdit aux étudiants en médecine de quitter les salles de dissection sans s'être lavé les mains avec une solution de chlore : la mortalité passe de 12,24 à 3,04 %. Il étend ses formalités de désinfection à toute personne ayant été au contact d'une malade, d'instruments de chirurgie ou de pansements, ordonne l'isolement des femmes malades : la mortalité tombe à 1,24 %. Mais Klein, homme médiocre, licencie Semmelweis de son service le 20 mars 1849. En mai 1851, il retourne dans un hôpital désaffecté de Hongrie où il applique sa méthode : résultats 0,85 % de fièvre puerpérale.

En 1865 au cours d'une autopsie, il se pique avec un scalpel comme son ami Kolletschka. Accident ? Suicide ? Il mourra quelques jours plus tard de septicémie dans la clinique psychiatrique où il avait été hospitalisé.

- La révolution pasteurienne (1855-1879), permet de battre en brèche la théorie de la génération spontanée et de montrer la pertinence de l'idée de dissémination aérienne des micro-organismes.

- Joseph LISTER (1827-1912) est le fondateur de l'antiseptie moderne.

Médecin chirurgien à Londres en 1852, Professeur à l'Université d'Édimbourg, puis nommé à la tête du service des amputations de l'hôpital de l'Université de Glasgow, il constate avec effroi les ravages de la gangrène sur les fractures ouvertes : le taux de mortalité suite à amputation s'élève à 70 %. En 1867, il traite les plaies avec un antiseptique, l'acide phénique. Le taux de mortalité tombe à 12 %.

- La fin du XIXème siècle se caractérise par le passage de l'antiseptie à l'asepsie.

- Alphonse GUÉRIN en 1871 remplace le pansement de charpie par un pansement ouaté occlusif.

- En 1878, on parle de microbe pour la première fois et on s'efforce d'opérer en milieu aseptique : air filtré, salle d'opération lavée à grande eau, instruments et linge soumis à la chaleur de l'étuve. Félix TERRIER (1837-1908) et Octave TERRILLON (1844-1895) codifient l'asepsie.

- En 1880, les instruments emmanchés en bois sont remplacés par des instruments entièrement métalliques, facilement stérilisables.

- En 1883, POUPINEL invente l'étuve sèche à 180°C et CHAMBERLAND l'autoclave dans les années 1880.

- À la suite des travaux de Flügge sur les aérosols, VON MIKULICZ propose le masque opératoire.

- En 1889, HALSTED, chirurgien américain, utilise pour la première fois des gants en salle d'opération.

- Le XXème siècle est marqué par la découverte des antibiotiques. La sélection des bactéries multirésistantes, conséquence d'une large utilisation des antibiotiques, fait garder toute leur importance aux méthodes d'antisepsie et d'asepsie.

II. CARACTÉRISTIQUES DES INFECTIONS NOSOCOMIALES

A. Définitions

- Infection nosocomiale : terme datant de 1845. Vient de nosokomeion (hôpital en grecque). Il s'agit d'une maladie infectieuse (à prion, virus, bactérie, champignon ou parasite), cliniquement ou microbiologiquement identifiable, contractée dans une structure de soin. Elle peut concerner soit le malade, soit le personnel soignant du fait de son activité.

Par infection il faut entendre prolifération microbienne ayant pour conséquences des réactions cellulaires, tissulaires ou générales, se traduisant le plus souvent par un syndrome inflammatoire. À distinguer de contamination et de colonisation : transfert et multiplication de germes en l'absence actuelle de réactions où de lésions inflammatoire de l'organisme contaminé.

Les bactéries sont à l'origine de près de 90 % des infections nosocomiales.

- Infection iatrogène : terme datant de 1970. Vient de iatros en grecque qui veut dire médecin. Il s'agit d'une infection acquise dans une unité de soin à la suite d'une faute ou d'un accident rapportable à un geste ou à une prescription. Le terme iatrogène ne s'applique pas qu'aux problèmes infectieux.

La définition de l'infection nosocomiale est large et nécessite des précisions.

 

B. Les délais d'acquisition de l'infection nosocomiale

- Cas général : le délai d'acquisition minimum est fixé arbitrairement à 48 h entre l'admission à l'hôpital et les premiers symptômes. Ce délai correspond à la durée d'incubation minimum d'une infection aigüe liée à une bactérie à croissance rapide. Il est fixé de façon arbitraire afin de faciliter le tri entre infection communautaire et infection nosocomiale.

- Cas particuliers (exceptions) :

- Geste invasif : décharge de bactéries dans les quelques heures qui suivent.

- Infection du site opératoire : - Sans pose de prothèse : 30 jours.

- Avec pose de prothèse : 1 an.

- Maladie de Creutzfeld-Jacob : plusieurs années (jusqu'à 15-20 ans), après transplantation tissulaire (dure-mère, cornée, tympan) ou injection d'hormone de croissance d'origine humaine (jusqu'en 1985).

C. L'identification du micro-organisme

Il est nécessaire d'identifier précisément l'espèce mais aussi l'individu (caractères épidémiologiques de la souche microbienne). Ceci est indispensable pour préciser la chaîne de transmission dans l'infection.

Deux types de germes sont rencontrés :

- Les germes sauvages : c'est la flore endogène commensale du patient qui est impliquée, ceci surtout dans les infections urinaires, les pneumopathies précoces d'inhalation et les opérations intestinales.

- Les germes hospitaliers : en 24 h un malade échange la totalité de sa flore bactérienne de surface contre la flore hospitalière.

 

D. Endémie et épidémie

L'endémie est la présence d'une maladie ou d'un agent infectieux, sans variation brutale dans le temps du nombre de cas.

L'épidémie est une augmentation inattendue et statistiquement significative du nombre de cas par comparaison avec le taux endémique antérieur : on parle de bouffée épidemique. Les épidémies ne représentent que 5 % des infections nosocomiales, mais elles peuvent justifier la fermeture d'un service hospitalier.

Il faut faire attention aux fausses épidémies qui sont liées à la mise en place d'un dépistage systématique des infections (par exemple un examen cytobactériologique urinaire).

L'hyper-endémie ou endémo-épidémie correspond à un taux élevé d'infections nosocomiales persistant dans le temps, comparativement aux taux endémiques enregistrés dans le service antérieurement.

 

E. Définitions des infections nosocomiales par site infectieux

(Cf. Tab 2a et 2b p. 2)

Les infection nosocomiales mettent en jeux des critères cliniques et biologiques (mise en évidence des micro-organismes = diagnostic direct ; des anticorps correspondants = sérodiagnostic).

III. LES MÉCANISMES DE L'INFECTION NOSOCOMIALE

A. Les sources de l'infection (Cf. figure 5.1 p. 1)

Le sujet qui entre à l'hôpital est porteur de ses flores commensales ou pathologiques qui constitue sa parasitocoenose. Cette flore est remaniée dans l'environnement hospitalier. Le patient est un membre actif participant à la biocoenose hospitalière.

1. Les auto-infections

Le patient peut s'infecter avec ses propres germes. Le lit est un excellent biotope pour le développement des bactéries du fait de son microclimat : 37°C, humidité et teneur élevée en CO2.

Cette auto-infection peut correspondre à 2 origines :

- Une infection endogène : le germe envahit l'organisme à partir de son biotope naturel, à la suite d'un déficit général de l'immunité (septicémie à germe intestinal chez un sujet aplasique) ou non (infection urinaire).

- Une infection per-opératoire : à l'occasion d'un acte chirurgical (ouverture d'un viscère creux par exemple).

Les malades atteints d'une auto-infection constituent une source importante de germes et sont à l'origine d'hétéro-infections.

 

2. Les hétéro-infections

La contamination est presque toujours manuportée (85 % des cas), plus rarement aéroportée (15 %). On observe des chaînes d'hétéro-infections caractérisées par le fait que le germe est identique pour tous les cas.

 

3. Les xéno-infections

Ce sont les infections consécutives à l'entrée d'individus nouveaux dans le biotope hospitalier : nouveaux patients, personnels et visiteurs.

Exemple : gastro-entérites à E. coli, Salmonella ou rotavirus des selles dans les servies pédiatriques.

 

4. Les exo-infections

Elles sont dues à des erreurs ou des insuffisances techniques : stérilisation ou ventilation stérile inefficaces, pose de cathéters sans asepsie rigoureuse. Le bloc opératoire est un lieu à haut risque car une atmosphère stérile ne peut être garantie.

B. Les facteurs de risque de l'infection nosocomiale

1. Immunodépression

C'est le premier facteur de risque. L'immunodépression peut être :

- Physiologique : nouveau-nés, vieillards (8,6 % d'infections nosocomiales chez les plus de 65 ans en France contre 4,9 % pour les moins de 65 ans), grossesse, malnutrition.

- Pathologique : - liés à l'individu : hémopathies, cancers, diabète, stress, traumatismes, comas.

- Liés à l'hôpital : interventions chirurgicales, traitements immunosuppresseurs : chimiothérapie cytotoxique, radiothérapie. Les infections nosocomiales induites chez les sujets neutropéniques (déficients en polynucléaires neutrophiles < 1.109/L) souvent à la suite d'une chimiothérapie antileucémique sont gravissimes.

 

2. Agression de la barrière cutanéo-muqueuse

- Interventions chirurgicales.

- Procédés iatrogènes lésant le revêtement cutanéo-muqueux (endoscopies respiratoire, digestive ou génito-urinaire, mise en place de sondes, cathéters, trachéotomies, iléostomie) ou permettant l'inoculation directe de bactéries dans la circulation sanguine (cathétérisme vasculaire, explorations hémodynamiques, injections veineuses, ponctions sternales).

- La chimiothérapie altère les muqueuses respiratoires et digestives.

- La dénutrition provoque une atrophie de toutes les muqueuses, ce qui favorise les infections.

3. État de la flore microbienne commensale

L'utilisation des antibiotiques à large spectre sélectionne les bactéries multirésistantes aux antibiotiques et diminue l'effet barrière de la flore commensale.

4. Atteintes du système nerveux central

Elles peuvent abolir certains réflexes (réflexes nauséeux, épiglottiques) ou certaines fonctions. Une seule endoscopie trachéale inhibe le réflexe épiglottique pendant environ une semaine.

Les malades présentant des comas prolongés, des tumeurs cérébrales, les para- et tétra-plégiques sont candidats à des infections nosocomiales souvent respiratoires, urinaires ou cutanées.

IV. LES DIVERSES INFECTIONS NOSOCOMIALES ET LES GERMES RESPONSABLES

A. Évolutions générales des infections nosocomiales

Au niveau des sites infectés, les infections respiratoires surtout basses (pneumonies), au 2ème rang dans les enquêtes épidémiologiques (Cf. tableau I p.3), apparaissent dominantes dans une récente enquète européenne et seraient, au moins dans les services de réanimation et de soins intensif, au 1er rang devant les infections urinaires.

En ce qui concerne les micro-organismes impliqués (Tableau II p.5), en plus des pathogènes habituels rencontrés dans différents sites infectieux, on assiste à une émergence et une incidence croissante des bacilles à Gram négatifs non fermentants (Pseudomonas surtout aeruginosa et Acinetobacter).

Les bactéries à Gram positif sont en augmentation. En particulier, Staphylococcus aureus méti-R selon un gradient croissant nord-sud en Europe : 1 % au Danemark, 9 % en Allemagne, 57 % en France. Cela provient en France de l'utilisation massive des antibiotiques à large spectre. On assiste aux États-Unis mais pas en France ni en Europe à l'augmentation de l'isolement des Enterococcus faecium vancomycine résistants dans les séjours prolongés, surtout dans les services de soins intensifs.

Les infections à levures du genre Candida, mais aussi à champignons filamenteux (Aspergillus fumigatus dans les aspergilloses pulmonaires invasives chez l'immunodéprimé), ainsi que celles dues aux parasites tels Pneumocystis carinii et Toxoplasma gondii sont aussi en recrudescence ; les causes principales sont le SIDA, diverses immunodépressions et les cancers.

B. Les services médicaux à risque

Les infections sont plus importantes dans les services médicaux lourds : réanimation et soins intensifs (tableaux I et II p.4). Les infections nosocomiales sont ainsi naturellement corrélées aux pathologies importantes.

D'autres données concernant les taux de prévalence (Que sais-Je ? n° 3386) confirment cette conclusion :

Services Taux de prévalence (%)

Réanimation : 28,1

Chirurgie : 7,4

Médecine : 7,2

Gynécologie : 2,7

Pédiatrie : 1,4

Pour des raisons similaires, le taux de prévalence des infections nosocomiales est plus élevé dans les grands centres hospitaliers (CHR) par rapport aux centres de moyenne importance (CHG) ou aux petits centres hospitaliers de secteur ou aux centres hospitaliers spécialisés (Figure 2 p.4).

C. Infections nosocomiales et sites d'entrée

1. Les infections urinaires

Toutes unités de soins confondues, l'infection urinaire nosocomiale reste la plus fréquente en France : 36,3 % en 1997 (figure 3 p.3), mais tend à diminuer au profit des infections respiratoires.

80 % des infections sont associées à des gestes effectués sur l'arbre urinaire, essentiellement lors de la mise en place de sondes vésicales. Comme environ 15 % des patients hospitalisés auront une sonde vésicale au cours de leur hospitalisation, on imagine le nombre de patients concernés par cette pathologie.

20 % concernent les interventions urologiques plus spécialisées.

La physiopathologie de l'infection est la suivante :

- Des germes des mains de l'opérateur peuvent être introduits directement dans la vessie. Ceci est rare depuis que les opérateurs mettent des gants stériles.

- La sonde perturbe le cycle de fonctionnement normal de la vessie. Ni la vessie, ni l'urètre ne peuvent se collaber (se fermer) du fait de la présence du ballonnet de la sonde dans la vessie et de la sonde elle-même dans l'urètre. De plus, l'éjection des germes lors de la miction grâce à l'augmentation de pression, ne peut se faire puisque l'urine s'écoule en continu. Par ailleurs, la sonde provoque des microtraumatismes muqueux urétraux et vésicaux.

- L'infection se développe par voie ascendante extraluminale à partir de la flore urétrale du patient en s'infiltrant le long du manchon. L'infection endoluminale est plus rare depuis l'introduction du système de drainage vésical clos.

2. Les infections respiratoires (hautes et basses)

On parle de pneumopathies sensu largo. Ce terme regroupe les infections respiratoires hautes, surtout les bronchites et trachéites (8,2 % en 1997), et les infections respiratoires basses ou pneumopathies sensu stricto, surtout pneumonie et infections pleurales qui représentent 12,5 % des infections nosocomiales en 1997 ( Figure 2 p.3).

Ces pathologies sont à la 1ère place des infections dans les unités de réanimation et de soins intensifs. Il existe un fort gradient positif nord-sud.

Le poumon s'infecte selon deux modes : par inhalation des sécrétions et par aérosolisation. En effet, la flore oropharyngée est très riche (1010 bactéries/mL) de même que la flore digestive. Chez les sujets fragilisés il y a souvent colonisation par les bacilles à Gram négatif à partir des germes du système digestif ; ce processus est favorisé par la position couchée. On estime que la fréquence de colonisation de l'oesophage puis du tractus respiratoire chez les patients en réanimation atteint jusqu'à 100 % après 5 à 10 j d'hospitalisation .

Les facteurs de risque sont présentés tableau II p.5.

- Aux premières places les dispositifs invasifs : ventilation mécanique, intubation trachéale, mais aussi les sondes gastriques alimentaires nasales qui favorisent les sinusites. Ces sondes provoquent des troubles de la déglutition ce qui favorise les inhalations de germes dans les voies aériennes. Ces troubles peuvent durer jusqu'à 1 semaine après une seule intubation.

- La position couchée est favorisante. Les patients doivent être installés en position semi-couchée.

- L'antibiothérapie prophylactique (préventive) favorise les surinfections à Pseudomonas aeruginosa dont on connaît les difficultés de traitement.

 

3. Les infections postopératoires

11,8 % des patients opérés risquent une infection contre 5,6 % des non opérés et 3,8 % des enfants.

Ces infections représentent 10,6 % des infections nosocomiales, jusqu'à 20 % si on inclue les infections de peau et des tissus mous.

7 % des plaies s'infectent dans les jours qui suivent l'infection, mais les variations sont très fortes selon que l'on s'intéresse à de la chirurgie propre (1,5-6,9 %), propre contaminée (8-12 %), contaminée (13-17 %) ou sale (10-40 %) (Cf. Tableau IV p. 6).

4. Les bactériémies nosocomiales primaires et secondaires

Environ 10 % des infections nosocomiales (cathéters : 3,8 % et bactériémies : 5,9 %, en 1997).

En 10 ans l'incidence aurait triplée (Tableau I p. 3).

Les bactériémies primaires nosocomiales sont liées à l'infection des cathéters : les cathéters cutanés sont plus rarement infectés que les cathéters posés après acte chirurgical. Les cathéters périphériques sont plus rarement infectés que les cathéters centraux (sous-claviers). Ces infections sont plus accessibles à la préventions que les bactériémies secondaires.

La plupart des bactériémies sont secondaires aux pneumopathies et aux infections intra-abdominales.

Les infections à coques à Gram positifs sont en augmentation et représentent de 45 à 52 % des cas. Les infections à levures (par ordre décroissant :Candida albicans, tropicalis, glabrata, guillermondi) sont également en augmentation. Les infections à entérobactéries et autres bacilles à Gram négatifs sont en diminution, mais restent quantitativement importantes.

 

5. Les autres localisations infectieuses

Elles représentent environ 20 % des infections nosocomiales.

On trouve des infections de l'oeil et O.R.L. (5,7 %), mais aussi des escarres infectés, des infections génitales après interruption de grossesse, des infections de la bouche chez les leucémiques en aplasie médullaire, des infections du système nerveux central et des abcès cérébraux et des méningites d'inoculation.

D. Caractéristiques des germes rencontrés

1. Caractéristiques intrinsèques des germes hospitaliers

Ce sont surtout ceux qui sont multi-résistants aux antibiotiques : Pseudomonas aeruginosa, Staphylococcus aureus méti-R, Acinetobacter (surtout baumanii), Enterococcus, les entérobactéries des groupes Klebsiella Enterobacter Serratia (K.E.S.) et Proteus Providencia, Morganella. (P.P.M.).

 

2. Caractéristiques selon les types d'infections

- Auto-infections : on rencontre les germes commensaux, des staphylocoques à coagulase négative de la peau, jusqu'aux germes anaérobies stricts (Bacteroïdes fragilis, bacille à Gram négatif de l'intestin, très résistant aux antibiotiques).

- Hétéro-infections (= infections croisées). La caractéristique fondamentale est l'identité absolue de toutes les souches isolées chez les malades. Les micro-organismes proviennent des malades auto-infectés, des germes hospitaliers classiques (Pseudomonas aeruginosa, Staphylococcus aureus méti-R) ou de germes épidemiques importés (xéno-infections).

- Dans les exo-infections, il peut s'agir de n'importe quel germe résistant dans le milieu extérieur hospitalier ou exogène (exemple des germes des plantes vertes apportées par les visiteurs).

 

3. Caractéristiques selon l'état du malade

Chez les malades dont les défenses immunitaires sont intactes, les streptocoques (pneumocoque et entérocoques) et Staphylococcus aureus sont les micro-organismes les plus fréquemment rencontrés. Staphylococcus aureus est le pathogène typique des années 1950-60. Il est responsable des complications des plaies chirurgicales, des brûlures, suite à un cathétérisme.

Chez les malades dont les défenses immunes sont affaiblies on rencontre surtout des bacilles à Gram négatif (Pseudomonas, Acinetobacter et des entérobactéries : E. coli, K.E.S., P.P.M.), mais aussi de plus en plus des staphylocoques à coagulase négative.

Au cours des dernières années, du fait de l'augmentation du nombre de patients immunodéprimés, les champignons (Candida albicans, Aspergillus fumigatus) et certains parasites (Toxoplasma gondii) prennent une place grandissante.

V. LA PRÉVENTION DES INFECTIONS NOSOCOMIALES

A. Organisation de la lutte contre les infections nosocomiales

Le Comité de Lutte Contre les Infections Nosocomiales (CLIN) a été créé par décret en mai 1988 (circulaire d'application du 13/10/1988). De part la loi du 31 juillet 1991, le CLIN est devenu obligatoire dans chaque établissement d'hospitalisation participant au service public de santé.

Les missions du CLIN sont de 3 ordres :

- Centre de réflexion et de proposition en liaison avec la commission médicale d'établissement et la direction.

- Dispositif d'intervention (enquêtes épidémiologiques).

- Prévention des infections.

Le Centre de Coordination inter régional des CLIN (CCLIN), au niveau régional, et le Conseil Technique National Contre les Infections Nosocomiales (CTIN) au niveau national ont été créés par arrêté en août 1992. Le CTIN est sous la tutelle du Conseil Supérieur de l'Hygiène Hospitalière de France.

 

B. La surveillance des infections nosocomiales

Consiste d'une part, au niveau prophylactique, en des examens réglementés de contrôle de l'environnement : analyses microbiologiques de l'eau, contrôles de stérilisation, examens de surface des objets, sols, tables d'opération, chariots infirmiers...

D'autre part, lors de la survenue d'une épidémie, une enquête épidémiologique est diligentée. Plusieurs problèmes sont à résoudre : il faut déterminer, la source de l'infection, l'identité du germe et retracer la chaîne d'hétéro-infection de façon à montrer que l'on retrouve le même germe à travers l'épidémie, dans le temps et dans l'espace.

Même non concluante, l'enquête épidémiologique est à elle seule une mesure prophylactique : elle est l'occasion d'une autocritique et d'une remise en question des protocoles de soin ou de nettoyage, des appareillages, des gestes et des habitudes du personnel.

C. Les méthodes de prévention

Elles concernent toute la vie hospitalière dans ses multiples aspects : des protocoles de soins, à la gestion des déchets , en passant par le contrôle de l'eau, de l'alimentation et de l'air. Les protocoles de soins recouvrent : les règles d'hygiène de base : désinfection et bio-nettoyage, le respect des conduites à tenir, les isolements des malades (géographiques et techniques), les prescriptions de médicaments : antibiotiques à large spectre, anticancéreux, anti-inflammatoires.

La prévention concerne aussi le personnel, en particulier pour les risques liés au sang : port de gants obligatoire lors des prélèvements sanguins, protocoles de soin du personnel lors des piqûres accidentelles (trithérapie antirétrovirale en cas de contact avec du sang VIH positif).

CONCLUSION :

- L'infection nosocomiale était liée initialement à un déficit de technicité médicale : défaut d'asepsie et absence d'antisepsie.

- Paradoxalement, elle est actuellement liée au développement des technologies médicales et de leur caractère invasif.

- La prévention passe pour l'essentiel par le rappel permanent des règles d'hygiène de base : le manu portage reste le facteur de transmission principal des maladies bactériennes. Il convient donc d'abord de faire respecter le lavage des mains (qualitatif et quantitatif) avant de réfléchir à la mise en place de technologies plus sophistiquées de décontamination.

- Les infections virales et à prion restent actuellement très sous-estimées, car les investigations qui les concernent restent rares.

Les coûts humains liés aux infections nosocomiales sont énormes.

Les coûts économiques ne le sont pas moins. On estime le surcoût en journées d'hospitalisation à + 4 jours en moyenne (de + 0,5 jour à + 27 jours). Les surcoût moyens sont de 12 000 F : 3 000 F pour une infection urinaire, 12 000 F pour une suppuration postopératoire, 60 000 F pour une bactériémie, 300 000 F pour une infection de prothèse. Pour 1997, en France, on estime à 5 milliards de francs le surcoût engendré par les infections nosocomiales. Cette somme est largement sous-estimée puisqu'il faut tenir compte des coût indirects induits par l'impact social : pertes de journées de travail, de productivité, versements de pensions d'invalidité, mise à la retraite anticipée. Si l'on tient compte de ces critères, le coût total est de 15 milliards de francs par an.

Gageons que, dans notre société libérale fondée sur la "politique" des coûts et des profits, le surcoût financier induit par les infections nosocomiales, puisse servir de ferment à une politique de soins faisant enfin la part belle à la prévention.

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BIBLIOGRAPHIE

 

 

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- FAVEREAU (É.). Un malade sur quinze attrape une infection à l'hôpital - Principale inquiétude: la résistance aux antibiotiques. In Libération du mardi 10 juin 1997, p. 18

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- Médecine et Maladies Infectieuses. Numéro spécial L'infection nosocomiale, 1988, n° 2 bis.

- RUFFIÉ (J.) & SOURNIA (J.C.). Les épidémies dans l'histoire de l'homme - Essai d'anthropologie médicale. Flammarion Ed., 1984, 277 p.

- VEYSSIER (P.) & DOMART (Y.). Infections nosocomiales. Collection Abrégés Masson, 1996, 158 p.

En gras les articles ou ouvrages incontournables.

 

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